La méthode Singapour

Le récent rapport Torossian-Villani contient 21 propositions pour réformer l’enseignement des mathématiques en France. Ces propositions s’inspirent, entre autres, de la pédagogie Montessori et de la méthode de Singapour.

La république de Singapour fait partie des quatre dragons asiatiques au développement économique prodigieux. On l’appelle, à cause de son niveau de vie, la Suisse de l’Asie. Elle a développé une méthode pédagogique pour les mathématiques telle que ses élèves sont classés en tête des tests internationaux où les français brillent par leur faibles performances.

Cette pédagogie s’appuie sur une formation continue des professeurs très intense (100 h par an, alors que leurs homologues français n’en disposent que de 16). L’évaluation de la pédagogie est constante. Et la formation s’appuie sur une demande concrète avérée.

Trois étapes caractérisent la méthode d’apprentissage : la modélisation (les sens sont sollicités pour décrire l’exercice), l’approche concrète-imagée-abstraite (des objets pour représenter les données, des images pour amorcer l’imagination et des symboles pour rentrer dans l’abstraction), et la verbalisation (l’élève doit parler pour décrire ce qu’il fait). Ces étapes sont développées avec insistance, le passage à l’opération (une soustraction, par exemple) ne se faisant qu’en fin de parcours.

Je suis frappé par l’importance donnée au départ à la modélisation. « Qu’est-ce que tu vois, qu’est-ce que tu entends, qu’est-ce que tu sens, qu’est-ce que tu ressens ? » Au pays de Descartes, nous en oublions souvent la primauté des sens pour notre contact avec la réalité concrète. Et pourtant, n’est-ce pas le meilleur chemin pour avancer. Nos sens ne nous renvoient pas toujours une réalité vraie. La perception, cette prise de conscience de nos ressentis, comprend une part d’interprétation, consciente ou pas, qui déforme les sensations. Souvent pour lui donner une explication rassurante ou pour nous poser en juge d’une situation. La confrontation de nos sensations non seulement nous met à l’abri de ses distorsions personnelles, mais nous apprend à discuter sur un concret partagé. Tout apprentissage, toute prise de position dans une situation particulière, devrait commencer par cette modélisation partagée. Je l’ai évoqué naguère dans un billet (La relation retrouvée). Nous devrions me semble-t-il nous laisser une place plus importante pour nos modélisations.

Le processus concret-image-abstraction est intéressant. Je me demande s’il ne pourrait pas être développé dans des situations que nous vivons difficilement, par peur de l’échec, ou plus simplement, face au risque d’être largué sur un sujet inhabituel. Je retiens de l’approche de Singapour, que chaque étape doit être développée suffisamment, et verbalisée, avant de passer à la suivante. L’approche concrète est simple ; encore faut-il vouloir s’y plier et la décrire abondamment avec des mots. L’imagination est une étape intermédiaire : elle reprend la description concrète, se limitant à la mise en images après la mise en mots. La dernière étape, l’abstraction, voit arriver les symboles : les chiffres, les nombres, les expressions algébriques. Une conclusion naturelle de la démarche.

Un dernier mot sur la verbalisation. J’ai animé pendant plusieurs années des ateliers de réflexion stratégique auxquels participaient des artisans. Autant dire, des responsables d’entreprises qui n’avaient pas l’habitude de parler de « ça » avec leurs collègues. De fait, leur implication était variable suivant les domaines, la peur d’être jugé étant le principal frein. Tous m’ont affirmé que le plus important pour eux dans ces ateliers avait été de pouvoir parler et d’entendre les autres parler dans un domaine où ils n’avaient aucune formation. Nous avions expérimenté que les partages inhabituels sont d’une richesse insoupçonnée.

Je souhaite à notre pays de trouver un chemin pédagogique efficace pour l’enseignement des mathématiques. Mais je nous souhaite encore plus de profiter de ces innovations pour améliorer notre ordinaire relationnel.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

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