J’aime la vie

Je n’ai pas attendu d’avoir mon existence risquant d’être abrégée par une issue fatale pour aimer la vie. Du plus loin que je peux remonter dans mes souvenirs, aidé par des photos jaunies, j’ai aimé la vie. Celle de la nature : les oiseaux, les fleurs, les paysages. Celle de mes proches, de mes parents aventuriers chacun à leur manière, celle de mes frères et sœurs même si le handicap ne permettait pas à tous d’avoir la même pétulance. Plus tard, la vie des idées, des constructions mathématiques ou chimiques, fenêtres ouvertes sur l’infiniment grand ou le microscopique.

À l’adolescence, j’ai découvert les grands espaces, les voyages. Et l’autonomie dans les aventures. Ensuite, l’amour et la paternité. Y a-t-il plus beau témoignage de la vie que ses propres enfants découvrant à leur tour les chemins oubliés, illuminés de leurs étonnements et de leurs enthousiasmes !

Je veux parler aussi de ma vie spirituelle. J’ai eu cette chance de vivre dans une succession de milieux religieux qui m’ont porté, d’abord seul, et ensuite avec mes proches. La foi est une chose. Les convictions en sont une autre. La foi est associée à la vie. Elle en est, pour moi, le moteur profond. Les convictions évoluent avec le temps et l’expérience. Certaines passent et trépassent. D’autres timides au départ, s’affinent au fil des épreuves et des rencontres.

Alors que se passe-t-il quand une maladie à l’issue incertaine s’invite ?

J’ai une multitude de réponses à cette question. Cela dépend du moral, de l’évolution des symptômes, de la réaction aux traitements, des proches et de leur délicatesse. Et un peu de tout ça en même temps.

« La vie est une maladie sexuellement transmissible toujours mortelle ». Peut-être… Toute cellule est programmée pour mourir, c’est l’apoptose. Et quand l’apoptose est déréglée, c’est le cancer, un débordement incontrôlé de vie. C’est, de mon point de vue, la raison essentielle de la charge symbolique de cette maladie : une maladie qui fait mourir par excès de vie.

Chacun réagit me semble-t-il en fonction de son rapport à la vie. Certains considèrent leur existence comme un dû. Dans cette optique, le moindre accroc est comme une insulte. On le refuse, on le dénigre, il est hors de question de faire avec. D’autres, dans le genre fatalistes, sont prêts à tout accepter, y compris le pire. Il y a du démissionnaire dans cette attitude. Ces gens-là risquent de mourir plus vite que les autres.

Toute vie prend à un moment ou à un autre, le chemin de la mort. L’ultime vieillesse est vue comme le cadre normal de la fin de vie. En revanche une fin brutale, comme un accident, ou violente, comme une maladie incurable, déclenche une émotion légitime qui pollue sans le vouloir, la conduite de sa vie vers la mort.

Le plus troublant, c’est l’incertitude. Vais-je guérir, c’est-à-dire vivre ensuite ? Mais dans quel état ? Quelles séquelles auront laissées les traitements ? Ou bien, vais-je mourir de cette maladie, mais dans quel délai, dans quelles conditions ? Il n’y a pas de réponse à ces questions. Mais la manière de vivre « l’épreuve » (comme certains disent) en est nécessairement une. Hier est passé, laissons le filer. Demain est un autre jour : laissons les planètes tourner, la vie se nourrit de leur mouvement. Aujourd’hui est là avec ses petits riens de vie. Ne sont-ils pas le plus important de la vie qui persiste un jour de plus. Cet apprentissage est exigeant. Il nous sort de nos habitudes élémentaires. Il est pourtant liberté au cœur des contraintes nouvelles.

Tout levier a besoin d’un point d’appui. Toute énergie procède d’une source. Chaque instant de l’existence se réfère à un point de bascule entre la naissance et la mort. De quoi aimer la vie, toujours davantage.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

2 réflexions sur « J’aime la vie »

  1. bonjour
    Moi aussi j’aime la vie ou plutôt maintenant je l’aime par moments ,avec des amis avec ma famille,les discussions avec les petits enfants ,devant un beau paysage après un beau concert, après que quelqu’un me dis je me sens mieux quand je l’ai écouté quand il y a une relation ,même toute petite avec quelqu’un à des tas de moments oui j’aime encore vivre Mais franchement quand je souffre sans arrêt,que marcher devient une épreuve,que je ne peux plus me servir de mon bras droit,que tout est compliqué ,fatigant, usant ,que tout necessite un effort alors là tu vois si le Seigneur me disait viens je laisserais tout et je le suivrais ,et je ne suis pas sûre que ce serait uniquement pour le rencontrer
    Josiane

    1. Merci, Josiane, pour ton témoignage qui nous entrouvre la porte mystérieuse de la souffrance et du handicap.

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