Attendre

Dans notre monde, il nous est de plus en plus difficile de vivre l’attente. Jadis, plus proches de la nature, nous nous calquions sur ses rythmes, bien obligés de les accepter et de faire avec. Quand nous nous déplacions, le temps du trajet était un temps compté, intégré à la course inexorable du soleil. À destination, nos hôtes nous prenaient quand on arrivait, avec une joie et une surprise que les SMS racontant aujourd’hui notre approche ne venaient altérer en aucune façon.

Nous ne savons plus attendre. Nos réflexes, aidés par nos technologies portables, nous poussent à fuir l’attente, à la meubler comme si elle n’existait pas. Il est certain qu’attendre n’est pas une situation confortable. Nous avons comme on dit le derrière entre deux chaises. Avec le risque, tant que dure cette situation, de tomber par terre si un des appuis vient à manquer. Nous ne sommes plus tout à fait là où nous étions avant d’attendre, et nous ne sommes pas encore là où nous attendons d’arriver.

Je prends l’exemple de parents attendant un enfant. Certains demandent à connaître le sexe dès que l’échographie le permet ; d’autres refusent, préférant attendre. Il y a dans cette attente, une valeur intéressante. Accueillir un enfant, c’est accueillir le mystère d’une existence à laquelle on a donné l’élan initial. Refuser de connaître le sexe avant que l’enfant paraisse, c’est rentrer, pendant l’attente, dans le mystère à venir. Ce faisant, les parents donnent à leur enfant, une chance supplémentaire de vivre son propre mystère. L’attente, ici, est constructive ; elle assure une fondation.

Autre exemple : Mamy a décidé de rentrer en maison de retraite. Elle attend qu’une place se libère. Que faire, elle et ses proches, pendant cette attente ? Il est trop tôt pour résoudre les questions liées au logement qui va devenir vacant, et toutes les questions similaires. Ce n’est pas encore le moment d’imaginer comment va se passer la transition et la prise des nouveaux repères. Alors que faire ?

L’attente demande de continuer à vivre comme d’habitude dans un cadre appelé à évoluer, mais qui pour le moment, reste un cadre connu. Pour l’apprécier surtout, ou éventuellement pour patienter si les contraintes deviennent pesantes. Attente et patience vont souvent main dans la main. En soi, l’attente ne change rien à l’ordinaire des jours. Elle demande de vivre cet ordinaire en acceptant d’être encombré par un futur proche, parfois insistant, parfois inquiétant. Profitons de l’attente pour apprendre à laisser ce futur à sa place.

Autre exemple : l’étudiant qui attend les résultats de ses examens, ou le chômeur qui attend le résultat d’un test d’embauche. La tentation est grande de rester planté devant l’aiguillage en cessant toute autre activité. Il est certain que le résultat va impacter la vie à venir. L’angoisse d’une hypothèse défavorable, compréhensive, est un empiétement sur le futur qu’a priori rien ne justifie. En cas d’échec, il sera toujours temps de s’inquiéter. Inversement, l’euphorie d’une hypothèse favorable est souvent tempérée par l’incertitude. Mais alors, pourquoi la crainte de l’échec ne le serait-elle pas, elle aussi ? Ce genre d’attente nous provoque à vivre le présent dans toute son intensité. Le passé est révolu. Le futur va advenir. Il nous reste le présent, avec sa totale liberté. Jouissons de cette liberté. Profitons-en pour explorer tranquillement, détaché, les hypothèses possibles dans des détails qui ne seront peut-être plus aussi facilement accessibles quand l’attente sera terminée.

Dernier exemple : l’attente d’un retour hypothétique dont la date est inconnue. Deux inconnues en fait : le retour et sa date. Sans compter les autres questions : Dans quel état ? Sera-t-il reconnaissable ? Etc. Ces questions prennent place dans la vie ordinaire. Elles sont questions, et rien d’autre. Comme telles, elles rejoignent les autres questions sans réponse de notre existence, celles qu’on appelle existentielles. Elles font partie du décor. Avec des intensités variables suivant les moments ou les époques. Mais sans plus.

Sans aucun doute, nous vivons nos attentes comme nous vivons l’attente de notre mort, notre dernière attente. À méditer.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

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