Je fais suite à mon précédent billet, Funeste décalage, pour développer ici le deuxième niveau logique de R. Dilts, le comportement. Je disais qu’on l’explore avec la question Quoi, et qu’il nous révèle les actions élémentaires qui meublent notre vie.
Notre monde actuel néglige l’approche de l’action élémentaire. Nous baignons dans un univers de cinéma, qui enchaîne les séquences sans nous laisser la possibilité d’un arrêt sur image. Nous sommes exclus de la contemplation qui permettait jadis au paysan exténué de récupérer en regardant le soleil se coucher. Et par là, nous nous privons de ressources qui nous seraient bien utiles.
L’action tout simplement est décrite par des verbes à la première personne, souvent intransitifs : je regarde, je pense, je me souviens, je respire, je marche, je rêve, etc. Ces actions s’inscrivent bien sûr dans un environnement et se positionnent dans une succession. Car nous sommes toujours en train de faire quelque chose, ne serait-ce que penser à quelque chose. La méditation de pleine conscience nous rappelle l’importance de s’arrêter à ces actions élémentaires. L’être humain, doué de conscience réfléchie, se retrouve dans sa profondeur quand il contemple ce qu’il fait. Dans les communautés de l’Arche de Lanza del Vasto, la cloche sonne toutes les heures. Chacun se dit alors : « Je me rappelle, je me reprends » pour se recueillir dans ce qu’il vient de faire.
L’action est décrite aussi avec des verbes transitifs. Mais là, c’est le complément d’objet qui vole la vedette. Dans l’expression «Il cultive son jardin », nous sommes portés, spontanément, à regarder le jardin plutôt que le jardinier qui le travaille. Par notre action, nous transformons l’environnement, nous l’agençons, nous le meublons. Seulement, ces actions prennent place, le plus souvent, dans des processus qui sont, je le disais, un troisième niveau. Le niveau du scénario en cinéma, par exemple.
Dans ce niveau du comportement, nous faisons le lien entre l’environnement et les capacités. Dans l’environnement, nous avons les pieds par terre. Dans les capacités, nous commençons à expliquer. Ici, nous nous incarnons. Ce que nous observons dans l’environnement, ce qui nous en recevons, nous lui donnons chair. Il devient autre que lui-même, il devient un peu nous. Les gamins construisent des cabanes, les parents construisent leur maison. L’entrepreneur monte sa boîte. Chacun construit ses réseaux. Tout cela, avec des actions tout simplement.
L’exploration du niveau comportement exige simplicité et l’humilité. Nous sommes ici pour observer, pour décrire, mais pas pour expliquer. Ce n’est pas l’endroit pour répondre aux questions Comment (3e niveau Capacités) ou Pourquoi (4e niveau Croyances). Il est dans notre nature de vouloir analyser, comprendre, expliquer. Nos progrès viennent de cette attitude initiée dans notre culture occidentale par les premiers philosophes il y a plus de 2500 ans. Disons que le niveau comportement pourrait être le niveau du témoignage. Le témoin donne sa vision de la réalité. Et nous savons bien que deux témoins du même événement peuvent donner deux versions différentes en toute bonne foi. Ricœur disait que le témoignage laisse à penser. Cette réflexion nous permet de mieux appréhender la réalité du comportement.
Il nous est possible d’apprivoiser ce niveau en cherchant ce qui s’y passe. Dans cette approche, mes ressentis sont convoqués. Ils sont d’autant plus disponibles que les questions intellectuelles, comment, pourquoi, ou métaphysiques, pour qui, pour quoi sont reléguées aux niveaux suivants. Ce qui est étonnant, c’est que la communication non violente, dont j’ai parlé récemment, convoque elle aussi les ressentis après avoir posé le cadre.
Pour aller plus loin, il faudrait développer ces relations qui se tissent quand nous construisons une tour ensemble comme le disait St Exupéry dans Citadelle. Ce sera pour un autre billet.
Sachons nous attarder à la contemplation de nos actions toutes simples. Pour en recueillir le fruit tout en nous enracinant dans notre environnement. Jouir d’une vie pleine passe par cette étape.
© Daniel Dubois. Amplepuis, 2018