Preuve ou confiance

Il faut parfois rapprocher des réalités différentes pour en découvrir leurs profondeurs. Je viens d’être interpellé à deux reprises par ce rapprochement preuve – confiance.

Agacé par les accusations portées contre un de ses proches collaborateurs, le pape François s’est mis en colère réclamant une preuve. Il s’est excusé, plus tard dans l’avion du retour, d’avoir blessé les victimes avec cette demande. Exemple de la preuve confrontée à la confiance en des témoignages.

Dans la revue Panorama de février, François Euvé, aborde ce même rapprochement. Il part de la tentation, la mise à l’épreuve, pour arriver au choix nécessaire entre demande de preuve et confiance.

La confiance est au cœur de la vie. Les parents qui décident d’accueillir un enfant n’ont aucune preuve que la vie leur donnera les moyens de l’éduquer. Mais il font confiance à la vie, à leur complicité avec cette vie, pour l’accueillir à sa naissance et l’accompagner dans sa croissance jusqu’à son autonomie matérielle. La démographie des pays dans la misère semble même nous indiquer qu’ils se moquent des preuves contraires.

Dans le même ordre d’idée, l’amour est basé sur la confiance au point d’engager deux vies ensemble. Amour ne rime-t-il pas avec toujours ? Dans ce domaine, point de preuve.

Preuve est un mot qui autorise plusieurs approches. Je passe sur la vérification du taux d’alcool à la sortie de l’alambic. L’approche mathématique donne à la preuve le privilège de vérifier un raisonnement. Mais depuis l’essor de la physique quantique, les preuves sont devenus probabilités ; tout autre chose que 2+2=4. Sur le plan judiciaire, la preuve concerne un fait déterminant pour l’accusation ou la défense. Mais il n’est pas rare qu’un fait contradictoire soit prouvé. Dans ce cas, les preuves s’annulent. Sur un plan anthropologique, le témoignage ou le serment peuvent être reçus comme preuve dans certaines conditions. Mais Ricœur préférait dire que le témoignage laisse à penser.

Ainsi quand on en appelle à la preuve, on en appelle à un fait qui clôt la discussion. Tant qu’il y a discussion, il y a confiance. À partir du moment où la preuve est appelée, pratiquement, la confiance est délaissée. C’est ce qu’a compris après coup, me semble-t-il, François. Sa demande de pardon était en fait une proposition pour revenir au domaine de la confiance.

Il est étonnant qu’une religion comme le christianisme ait eu le succès qu’on lui connaît, alors qu’elle se fie à des témoignages en l’absence totale de toute preuve : un tombeau vide ; un homme portant les stigmates de son supplice, mais dont le corps s’affranchit des lois physiques. Tout le contraire de preuves. En face, des témoignages qui semblent sincères, mais contradictoires comme si la confiance, et elle seule, était requise chez le destinataire. Comme si, cette confiance n’était même pas une question en fait, mais un abandon. Comme le bébé qui vient de naître s’abandonne à ses parents.

Nous oscillons au fil de nos journées entre recherche de preuves et abandon dans la confiance. Il faut sans doute des preuves pour manger chaque jour, mais je crois bien que la vie ne réclame que la confiance.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

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