Le quotidien La Croix a récemment publié plusieurs dossiers suite à l’invitation du pape François au peuple de Dieu de lutter contre le cléricalisme. Vaste sujet, dont les questions de pédophilie ne sont qu’une manifestation parmi tant d’autres. Voici ma contribution personnelle.
J’ai été élevé dans une famille chrétienne qui reconnaissait aux clercs une autorité incontestable. Ce qui n’empêchait pas mon père, à l’occasion, de se montrer critique quand notre curé abusait de sa position pour exprimer des opinions qui auraient dû rester dans la sphère intime.
Je suis rentré au séminaire à 10 ans ; j’en suis ressorti 10 ans plus tard après deux années de philosophie, convaincu de mon incapacité à me mouler dans une institution misogyne, coupée des réalités du monde, obnubilée par les déviances du sexe, qualifiées de péchés mortels avec l’enfer assuré. Nos très chers pères avaient été formés à la théologie néo-thomiste, et mis à part quelques exceptions qui confirmaient la règle, ignoraient tout du sexe faible et des réalités économiques et politiques. L’important était de recruter. La réaction de mon évêque essayant de négocier ma décision a été : « Si les meilleurs s’en vont, il nous restera que des nuls ! ».
Malgré Vatican II et le renouveau biblique qui me passionnait, j’ai alors fréquenté l’Église réformée (pour la qualité biblique de ses prêches) et ses associations qui m’ont formé à l’encadrement des jeunes. Responsable Pionniers ensuite chez les Scouts de France, j’ai bénéficié d’une présence compréhensive du vicaire de la paroisse, alors qu’il aurait fallu imaginer un passage de relais dans l’éducation de la foi de nos jeunes que les parents n’assuraient plus. Je n’ai pris aucune initiative sur ce plan, estimant qu’elle revenait au clerc en place. Ce vicaire, sympathique, ouvert, apprécié de tous, est parti refaire sa vie (nous étions en 1969) avec une sœur d’un établissement voisin, très certainement après quelques confessions dépassant le cadre sacramentel.
J’ai eu la chance de créer une équipe biblique avec une dizaine de jeunes, grâce à la complicité d’un curé hors du commun, qui s’appuyant sur mes deux années de grand séminaire, m’avait fait toute confiance. Il complétait notre travail à la fin de chaque réunion avec une bouteille, quelques gâteaux et des conseils pratiques de vie chrétienne dont les jeunes se souviennent encore près de 50 ans après. Stan Rougier lui dédicaçant Clins Dieu, dira qu’il lui a transmis la tendresse de Dieu.
Avec mon épouse, nous avons participé pendant 17 ans à un groupe de foyers informel, accompagné par un frère capucin qui a su nous prendre comme nous étions, nous conduisant vaille que vaille vers une sainteté qui nous semblait fort éloignée dans nos vies trépidantes, mais néanmoins accessible (40 ans avant Gaudete et exultate). Une expérience d’Église originale, en dehors de ses structures classiques. Nous lui devons la découverte des Foyers de charité que nous fréquentons depuis.
Plus tard, à la demande de notre curé, nous avons animé un groupe de jeunes mariés après leur mariage. C’était suite au constat de carence du service après-vente du CPM (Centre de Préparation au Mariage, où nous avons été animateurs deux ans). Notre pédagogie, inspirée de la lecture ignatienne de la Bible, laissait les jeunes entièrement responsables des réunions : choix de textes, animation de la réunion, axes de réflexion en prolongement de la Bible. Nous étions là, comme parrains, garants du cadre fixé. Pas de prêtre dans notre groupe. Tous les jeunes, y compris les déclarés non-croyants ont pris des responsabilités dans la paroisse et dans leur quartier. Nouvelle expérience d’Église dont j’avais délibérément informé notre évêque au départ, et régulièrement pendant nos cinq années de fonctionnement. Mais expérience sans suite, car n’ayant pas reçu de sa part une mission explicite, nous n’avons pas voulu en faire un bizness personnel.
On parle de la place des prêtres, de celle des laïcs, et en particulier des femmes. J’entends que l’Église n’est pas un lieu de débats mais de vie communautaire et de prière. De mes 70 ans passés, de mon expérience d’Église et de ses mouvements, de ma fidélité et de ma prière, je suis convaincu que le cléricalisme actuel et ses maux ne disparaîtra que lorsque nous n’appellerons plus nos prêtres « Père » et nos évêques « Monseigneur ». Je suggère « Frère » et « Serviteur ». Au bout d’une génération, les mentalités auront nécessairement changé. Rien ne nous empêche de commencer tout de suite, et je suis prêt à lancer un appel sur internet si des soutiens se manifestent.
© Daniel Dubois. Amplepuis, 2018