Fraternité

Le mot Fraternité est écrit au fronton de nos mairies et autres maisons communes. Que l’idéal révolutionnaire de notre pays l’ait intégré dans sa devise, avec Liberté et Égalité, deux utopies, me pose question, en particulier dans cette période de révolution politique.

Car, soyons clair, la démocratie est un transfert de pouvoir, du peuple sur un dirigeant, chez qui le peuple abandonne sa liberté justement pour être en sécurité. Et le fait qu’il y ait un chef et des administrés prouve bien que l’égalité est, elle aussi, remise au rencart. Mais la fraternité ?

À notre origine personnelle, pour ceux qui ont eu des frères et sœurs, la fraternité est une expérience de fratrie. La fraternité se distingue de la fratrie. La fraternité française affirmée institutionnellement ne fait pas des français des frères. Elle les invite à vivre comme des frères. Nuance.

Mais que vivent donc des frères et sœurs que nous pourrions transposer dans la vie de notre nation ?

La première expérience est celle du numéro d’arrivée. Je peux être l’aîné, le cadet, le dernier ou avoir un autre rang d’apparition. En arrivant dans ce monde, je porte à tout jamais mon numéro d’apparition dans la fratrie. La liberté et l’égalité en prennent un coup ! Quand ce rang est nié, l’enfant souffre d’un défaut identitaire qui peut le perturber, lui et ses générations suivantes. Dans mes coachings, j’ai rencontré plusieurs responsables qui ne trouvaient pas leur place dans la société pour cette raison.

Partant de cette expérience, la fraternité serait l’apprentissage d’un ordre horizontal, aussi profond que les relations intergénérationnelles. Être frères, c’est accepter que d’autres étaient peut-être là avant moi, et que d’autres viendront peut-être après moi. Je vous laisse le soin de méditer sur cette double vérité élémentaire, en particulier dans notre vie sociale, civique ou politique…

La deuxième expérience de la fraternité, c’est quand j’entends mes frères et mes sœurs dire « papa » ou « maman » aux personnes que j’appelle aussi « papa » ou « maman ». J’expérimente alors que je partage une même origine, que la vie qui m’anime a été transmise à d’autres à partir de la même source ou du même moule. J’expérimente que je ne suis pas propriétaire de ma vie. J’expérimente que je dois respecter cette vie comme je respecte la vie des autres dans les occupations habituelles de la maison, à table, en voyage, dans la salle de bains ou dans la chambre partagée.

Une troisième expérience de la fraternité se vit dans le constat des différences. Il est fréquent d’entendre, dans les grandes familles, que chaque enfant est différent. C’est vrai pour le caractère comme pour l’affection ou l’intelligence, sans parler du physique parfois. C’est au moment des départs, quand chacun va vivre sa vie, que ces différences s’attisent. Avec une question : que va devenir notre fraternité dans cette séparation ? C’est parfois palpable lors des mariages. La fête peut masquer l’inquiétude, mais est-ce vraiment une inquiétude ? La fraternité ne porte-t-elle pas en elle, comme en amour, une marque d’éternité ? Rarement, les frères ou sœurs ne sont totalement amis. Mais ils partagent une expérience de vie commune source de complicité qui renvoie à ces expériences plus ou moins inconscientes.

Alors notre devise nationale prend un autre relief si nous mettons la fraternité en premier car elle éclaire et la liberté et l’égalité. Permettez-moi une anecdote personnelle. Nous avons vécu avec cinq enfants dynamiques à la campagne, en Auvergne, pays des fromages. Quand le plateau arrivait en fin de repas, la consigne était « un seul au premier tour ». Cette consigne de bon sens évitait au dernier d’attendre trop longtemps en salivant. Sous-entendu, le dernier n’est pas concerné par la consigne, et liberté pour tous aux tours suivants. Voilà un apprentissage fraternel de la liberté et de l’égalité. Liberté de prendre ou ne pas prendre du fromage, mais liberté encadré par la fraternité : un seul au premier tour. Égalité de traitement pour tous, sauf un, le dernier.

Les grands mots nous rassemblent et nous motivent. C’est d’autant plus vrai quand ils sont tempérés par la réalité de la vie.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2017

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