Être un parent suffisamment bon

J’aime cette formule de Donald Winnicott qui me semble parfois oubliée par des parents de type stakhanovistes, faisant malgré eux le malheur de leurs enfants. Je sais que le métier de parent ne s’apprend pas à l’école. Je sais aussi que nous cherchons souvent dans nos progénitures, à réaliser ce que nous n’avons pas pu faire. Alors, essayons d’y voir clair.

Je pars de la 4e parole donnée par Dieu à Moïse dans la Bible pour que son peuple vive dignement de lui : « Tu honoreras ton père et ta mère afin de vivre de longs jours sur terre ». Cette parole vient après les trois premières qui parlent de la relation à Dieu. Elle est donc fondatrice. Nous sommes dans une culture qui ignore encore la vie au-delà. L’humain béni de Dieu est comblé de bienfaits, parmi lesquels une nombreuse descendance et de beaux troupeaux. Ce commandement invite à la réciprocité. Aucune obligation d’être bon pour ses vieux parents, seulement un engagement à les respecter dans leur dignité de parent, pour la vie dont ils ont passé le témoin, de cette vie qui me comble de bienfaits.

D’après le pédopsychiatre Romain Dugravier qui cite Winnicot dans son récent interview à La Croix, être parent aujourd’hui relève d’un désir de normalité : je désire des enfants pour faire comme tout le monde. La mère quitte son petit confort personnel (vivre pour elle) pour accepter désormais de vivre pour ses enfants. Inconsciemment ou pas, elle est rassurée dans sa démarche, du moins chez nous, par un ensemble de dispositions d’accueil favorables : médicalisation de l’accouchement, crèches, écoles, garderies, etc. Et les jeunes papas considèrent tout à fait normal de s’occuper concrètement de leur enfant (couches, transports, repas). Les parents sont aujourd’hui complices en actes dans l’accueil de leur enfant.

Où les choses commencent à se gâter, c’est quand les parents s’approprient leur enfant. Cette captation peut se faire dans deux directions opposées. Je vais surprotéger mon enfant pour que lui soient épargnées les épreuves (sous-entendu, que j’ai vécues). Ou bien, je vais mettre la pression sur mes enfants pour qu’ils arrivent là où je n’ai pas pu aller. Dans les deux cas, l’enfant est spolié de son désir de vivre pour lui. Il est embrigadé dans une démarche qui peut être contraire à celle que la vie a initiée en lui. Dans les cas les plus graves, il résoudra ce conflit dans le suicide. Car on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. J’en avais parlé dans un billet de l’Alpilloscope en citant Nelson Mandela : Pour moi, sans moi : non, merci !

Alors, où se situe la bonne attitude ? C’est là que Winnicot nous suggère une sagesse certaine. « Suffisamment bon » évoque nos limites. Les parents parfaits n’existent pas. De même que, je le pense très sincèrement, un enfant a toujours les meilleurs parents qu’il pouvait avoir. Une légende de je ne sais plus quel pays dit même, qu’avant de naître, un enfant choisit ses parents en sachant pertinemment qu’un sera bon et l’autre moins bon ! « Suffisamment » revoie donc à une volonté certaine d’être bon, mais tout en affirmant qu’on ne peut pas l’être totalement.

Pour intégrer ce conseil concrètement, les parents peuvent considérer que leur enfant sait être bon pour lui. Et autant, si ce n’est plus, que ses parents. Il est un temps où l’enfant est dépendant de ses parents. Mais pas tout le temps, ni pour tout. Par exemple, dès que l’enfant commence à marcher, les parents doivent veiller à sa sécurité. Mais c’est l’enfant seul qui fait son apprentissage des distances et des niveaux (Ah ! Ces escaliers !). Et s’il ne peut pas le faire, tôt ou tard, il en pâtira. L’idéal est que les parents soient complices avec l’enfant de son propre bonheur.

Alors, plus tard, devenu fièrement autonome et parent à son tour, l’enfant honorera ses parents naturellement, avec un zeste de malice dans une complicité plus forte que jamais.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2017

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