Le traitement chimiothérapique que j’ai évoqué naguère (Explication) annonçait un contrôle fin août. Le résultat était très encourageant, sauf que les dégâts collatéraux étant devenus trop importants, il était exclus de poursuivre. Après une pause, habituelle dans ce genre de situation, je poursuis aujourd’hui avec une immunothérapie, beaucoup moins lourde au niveau des conséquences collatérales.
Cette nouvelle orientation m’a poussé à étudier la question. D’autant plus que j’ai pris comme principe de donner systématiquement de mes nouvelles détaillées à tous ceux qui me manifestaient leur soutien. Comme une manière de remerciement, largement apprécié, il est vrai. Mais comme on ne peut pas raconter n’importe quoi, cette correspondance m’oblige à une rigueur accrue dans l’utilisation des termes savants et des explications simples ; et bien souvent dans les échanges personnels qui les prolongent.
Peut-on, doit-on donner de ses nouvelles personnelles détaillées quand on souffre d’une maladie qui peut être fatale ? Des personnalités connues le font en écrivant leur témoignage. Il semble que ces ouvrages obtiennent un franc succès. J’ai été personnellement envoûté par Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer, ou encore par Deux petits pas sur le sable mouillé d’Anne-Dauphine Julliand.
La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Tout d’abord, elle est double : du point de vue du malade et du point de vue du lecteur. Pour le malade, il est évident, et ce ne sont pas les médecins qui me contrediront, au contraire, que plus un malade s’intéresse à sa maladie, plus il peut la prendre en charge correctement. Ce qui est le meilleur chemin de la guérison. Même dans les cas les plus complexes, comme l’immunothérapie spécifique pour soigner les cancers, une approche récente et promise encore à un beau développement, il est possible à un non-spécialiste d’appréhender la réalité du processus de guérison sans entrer dans les détails. Le succès des émissions médicales à la télévision, de certaines revues de vulgarisation sérieuses vont dans le même sens. Il y a dans l’ignorance des interactions entre maladie et traitement, une espèce d’attitude magique qui remplace l’engagement volontaire et conscient par une dépendance incantatoire et superstitieuse, stérile ou pour le moins aléatoire.
Cet intérêt prononcé n’est pas toujours accompagné par le personnel soignant. Les médecins aujourd’hui sont plus attentifs aux questionnements de leurs patients, mais ils ne vont pas au-devant. Vouloir s’informer demande donc un effort et une persévérance. Un effort est en effet nécessaire pour aller gratter des pages internet et essayer de structurer l’information trouvée. La persévérance s’exprime au niveau des compléments d’information demandés à son médecin. Il faut noter les questions, et y revenir si à l’examen les réponses ne sont pas satisfaisantes.
D’autre part, celui qui reçoit les nouvelles est impliqué dans son geste, qu’il le veuille ou non. Il en est, qui après quelques bulletins de santé, ne se manifestent plus. Pourquoi ? Faut-il continuer à leur envoyer ? Ces personnes sont souvent impliquées, ou l’ont été, personnellement ou chez des proches, dans une problématique de survie sans chercher à comprendre comment on les soigne.
À l’inverse, d’autres découvrent le bienfait de s’informer. Et même sans avoir le courage ou l’audace d’aller bien loin dans la démarche, ils se sentent portés à être plus interrogatifs que fatalistes sur ce qui leur arrive. Le moral en profite.
La majeure partie répond en s’exprimant sur ses ressentis propres. J’ai découvert progressivement dans ces échanges que l’information technique n’est pas la plus importante. Il est nécessaire aussi de parler de soi, de ce qui se passe en soi, ces ressentis souvent relégués derrière des vœux pieux de mieux aller ou de courage pour supporter les mauvais moments. En bref, il s’agit de parler, non pas de ce qui nous arrive, mais de soi, tout simplement.
Je crois bien sincèrement que cette simplicité-là est essentielle. Je veux dire qu’elle exprime la trame de la vie.
© Daniel Dubois. Amplepuis, 2018