Le défi de la symétrie

La symétrie est une propriété arithmétique qui caractérise deux figures, de part et d’autre d’un axe ou d’un centre, telles que leurs points respectifs sont situés à égale distance par rapport à ce centre ou cet axe. On parle aussi d’effet miroir. Sur le plan symbolique, une relation symétrique exprime l’égalité, l’équilibre, la réciprocité, l’harmonie, la régularité.

Les organisations et institutions dans notre humanité ont été le plus souvent animées par des relations asymétriques. Le chef et sa garde rapprochée étaient au-dessus du commun des mortels, ceux-ci ayant abdiqué leur liberté au profit de leur sécurité. Nos démocraties s’exercent dans ce moule.

Notre Église catholique n’a pas échappé à cette règle. Un pouvoir centralisé, romain, une hiérarchie structurée, et un bas peuple obéissant et silencieux. Or, avec l’arrivée du pape François, nous entrons dans une nouvelle perspective. Il nous lance le défi de relations symétriques. Je suis tout disposé à le relever.

On a beaucoup écrit sur les raisons qui dynamisent François sur ce terrain révolutionnaire : son origine argentine et l’expérience politique du peuple dans cette nation, à l’initiative de Peron ; son positionnement original dans la réflexion théologique et pastorale de ce continent, en regard par exemple de la théologie de la libération. La revue Études a livré récemment des contributions éclairantes sur cette approche. Mon propos aujourd’hui n’est pas sur ce sujet.

Je veux réfléchir plutôt à ce que signifie concrètement pour moi une relation symétrique. Car cette attitude ne nous est, pour nous occidentaux, pas du tout évidente.

Enfant, j’ai été éduqué par des parents aimants, intelligents. Tout le contraire, a priori, d’une relation symétrique. Mon père usait de son autorité, réelle, juste et efficace. Ma mère savait exprimer sa sensibilité pour tempérer les exigences paternelles. Ma vitalité et mon imagination leur donnaient, paraît-il, du blé à moudre. Pour autant, mes meilleurs souvenirs d’enfance me retrouvent en complicité avec mon père dans l’apprentissage de tout un tas de détails, que ce soit dans la nature ou devant l’établi pour bricoler. Je vois là un maître et son élève, mais avec quelque chose qui ressemble à un certain équilibre ; j’apprends en posant des questions, je suis demandeur. Et je reçois des réponses.

Je me rends compte aujourd’hui que dans cette relation d’apprentissage, il existait cependant une symétrie là où on ne l’attend pas. Face à mes découvertes, à mes émerveillements, à mes apprentissages et leurs prolongements, mon père était confronté, dans son rôle de parent, à ses propres découvertes, émerveillements et apprentissages. Pour moi, c’étaient les réalités concrètes de la vie que j’accueillais goulûment ; pour lui, c’était son rôle de père face à ma vie pétillante qu’il devait méditer avec étonnement dans son cœur. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu une adolescence difficile. Je crois que la relation que nous avions tricotée plus tôt nous mettait à l’abri des impatiences ou incompréhensions. Manifestement, la relation symétrique se nourrit de relation personnelle.

Quand François nous invite à poser le témoignage de notre foi dans une relation symétrique, j’entends quelque chose qui ressemble à mon expérience d’enfant. Il ne s’agit plus d’aborder les habitants des périphéries avec notre savoir, notre expérience ; de leur apporter ce qu’ils n’ont pas ; du reste, nous ne savons même pas ce qu’ils ont, quelle est leur culture et comment ils la vivent tous les jours dans leur misère ou leur dénuement.

Si je transpose, et en positivant, il s’agit d’être sur le même pied pour nous découvrir mutuellement. Découvrir notre nom pour nous appeler ensuite non pas avec des titres ou des rôles, mais avec ce nom qui nous a été donné en même temps que la vie. Découvrir l’amour qui nous anime avec lequel nous prenons soin de nous, de nos proches, et des autres. Découvrir comment nous laissons la vie prendre sa place parmi tous nos gestes ou paroles de mort. Découvrir comment notre joie se fraie un chemin au milieu de nos malheurs. Faire ces découvertes ensemble, les partager, nous en enrichir mutuellement. La foi, et la vie spirituelle qu’elle anime, fera partie de ces découvertes, quelle que soit la religion, du reste. Des questions épineuses comme l’accueil des divorcés-remariés, pourraient y trouver une réponse originale.

Car plus que jamais, me semble-t-il, si nous chrétiens, sommes convaincus que Dieu conduit notre humanité par un amour brûlant, nous pourrons alors, de la sorte, laisser Dieu piloter nos rencontres pour qu’il y trouve sa juste place. À chacun son travail en quelque sorte.

Dans le fond, ça me paraît bien simple. Juste un recadrage. Pourquoi hésiter ?

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2017