Couleurs

Voici venu le temps des couleurs. Après un été très sec dans notre région, les arbres qui ont su résister aux chocs hydriques commencent à se colorier. C’est un événement, gratuit, offert à tous ! Il suffit de s’arrêter pour contempler le spectacle. Chaque heure a son mystère.

Je me souviens que, gamin à l’âge où je courrais la campagne avec mes copains, le printemps était sans conteste la saison qui me plaisait le plus. Voir les poussées de plantes sortir d’un tapis d’herbe brûlé par le froid hivernal me ravissait. En levant le regard, je suivais les bourgeons dans leur mûrissement, jusqu’aux chatons éclatants. J’en cueillais alors une petite branche que je posais sur l’étagère devant mes livres dans la chambre. Cette vitalité débordante, dans tous les coins et recoins, correspondait à la vitalité de mes dix ans. Nous passions tous nos temps libres dehors. Le froid de l’hiver nous tenait plus facilement cloîtrés dans nos maisons, car la nature est moins hospitalière, comme les hommes, quand elle est froide. Mais dès les « petites vacances » du 2e trimestre, la douceur extérieure nous lançait l’appel du large, irrésistiblement. Aux vacances « de Pâques », c’était l’apothéose avec les sorties en vélo pour la journée.

Quelques 60 années plus tard, je me souviens, mais désormais c’est l’automne qui me convient le mieux. L’été, avec sa chaleur, sa lourdeur, son air rare m’est particulièrement agressif. Je m’enferme au frais, derrière les volets clos, pour mieux supporter. L’automne arrive comme une délivrance. Après les premières pluies, la terre assoiffée n’en garde pas trace ; l’humus des forêts reste sec. Puis la fraîcheur des nuits aidant, le sol se transforme. Les champignons reviennent. Un peu comme pour la retraite : les meilleures années ne sont pas les premières.

Le soleil qui vient de passer le solstice est moins arrogant ; les ombres s’allongent ; la nuit tombe vite ; il faut donc sortir au bon moment pour ne pas se laisser surprendre. Mais sans se hâter pour autant, comme les feuilles qui prennent le chemin de l’école buissonnière pour descendre des arbres. Ce n’est plus l’exubérante vitalité du printemps, mais plutôt la persévérante satisfaction d’être là, simplement pour contempler, pour profiter, cueillir les fruits. Dans le Beaujolais voisin, les vignes se font légères. Déjà le nectar prometteur pétille. Espérance.

Ce camaïeu de couleurs vives, éclatant et de plus en plus envahissant sur un vert qui fond tranquillement, m’invite à la fête. Jusqu’aux champs que les labours colorient à leur manière. Espérance encore. Ce n’est pas que le travail est moindre. Il y a eu le retour des vacances, les différentes rentrées. Le labeur semble donc vraiment à sa place en cette saison. Mais tout invite à la fête ; les feuilles sont des lampions que le soleil allume. Les greniers sont pleins, les tonneaux vont l’être, les granges grassement font face à l’hiver, on tue le cochon. Oui, la fête est là ; les soucis peuvent attendre.

L’éclat des couleurs automnales me devient l’écrin d’une vie pleine que je relis tranquillement pour l’occasion. Ces mille lumières célèbrent ma vie. La sagesse s’invite, accueillie timidement. La joie est là, tout simplement.

Nous ne faisons que passer. Mais que les étapes sont belles !

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2017