Triptyque

Sur le site de l’Ordre national du mérite (ONM), trois principes sont précisés concernant les rapports des compagnons avec leur distinction : Une décoration ne se demande pas, ne se refuse pas et se porte. Ces trois attitudes m’inspirent dans trois domaines que j’explore comme un triptyque.

À ma gauche, les décorations. Si effectivement, une décoration ne se demande pas, dans les faits, il y a toujours quelqu’un qui s’en charge pour vous. Parfois dans le souci inavoué de créer un lien entre le promoteur et le récipiendaire, ou de sacraliser ce lien. Mais le plus souvent, le promoteur cherche à faire reconnaître la qualité d’un personne discrète dans ses activités.

Quand une décoration est refusée, c’est parfois pour incompatibilité entre récipiendaire et promoteur ; incompatibilité souvent politique ou idéologique. C’est placer la distinction au rang des querelles de clocher, et il est préférable alors qu’elle ne soit pas mise en jeu dans ces contextes. En revanche, une personne discrète qui n’a que faire des honneurs, voit là l’occasion d’honorer les personnes qui ont bénéficié de son activité.

Il est tout naturel qu’une décoration reçue soit portée. Mais bien souvent, les situations où elle est portée traduisent comment elle a été sollicitée ou acceptée.

À la droite du triptyque, j’examine maintenant le prénom. Quand nous arrivons sur cette terre, notre prénom, généralement, nous précède. Nos géniteurs et ceux qui nous accueillent ne nous demandent pas notre avis. Un prénom, c’est évident, ça ne se demande pas.

Un prénom, ça ne se refuse pas. Et pourtant… Certains parents n’hésitent pas à affubler leur rejeton d’un prénom franchement ridicule. Il s’agit d’un manque de maturité, mais le rejeton en question se trouve face à une double peine : un apprentissage de la vie très certainement problématique et le ridicule du prénom. Certains prénoms ont été donnés dans nos anciens territoires coloniaux en s’inspirant du saint du jour comme Fête Nat. le 14 juillet. Ici, le contexte culturel atténue le choc, si je puis dire. Ou encore Lourdès au Portugal où beaucoup de filles sont prénommées Maria en précisant de quelle Notre Dame il s’agit, comme Fatima ou Lourdes dans le cas présent. Je connais enfin des adolescents plus ou moins attardés qui changent leur prénom, histoire de s’affirmer. Ou, plus tard, pour s’affranchir d’une casserole familiale quand on a hérité du prénom du frère ou de la sœur précédent mort brutalement.

Un prénom se porte normalement naturellement. « Qu’est-ce qui n’appartient qu’à toi mais que tout le monde utilise ? » Car rarement, on l’utilise pour soi, sauf en se rasant ou se maquillant le matin, pour se donner du courage ou se rappeler ses bonnes résolutions. On le porte pour les autres ; il est notre login dans toutes nos relations.

J’en viens maintenant à notre panneau central, que j’intitule la Vie. Comme mon prénom, je n’ai pas demandé la vie. Mes parents ont fait le nécessaire pour que j’apparaisse sur cette terre. Avant je n’étais pas, après je suis. Mais la vie, à proprement parler, n’est pas moi. Je suis vivant parce que mes parents m’ont transmis la vie qu’ils détenaient eux-mêmes de leurs parents, etc. Il faudrait alors prendre le principe dans l’autre sens : la vie se développe sans demander l’avis de ceux qu’elle anime.

La vie ne se refuse pas. C’est l’absolu Tu ne tueras pas ! Reste la question du suicide dont Camus disait qu’elle est la seule question philosophique.

Enfin, est-ce que je porte ma vie ? Bébé, ce sont mes parents qui ont porté ma vie. Adolescent, j’ai commencé à me prendre en main dans mes relations, puis pour mes études, mon métier, et enfin pour ma propre famille. Mais, la rencontre amoureuse a échappé en grande partie à ma volonté et mon intelligence. À l’automne de mon existence, j’ai de plus en plus le sentiment que ma vie ne m’appartient plus. C’est la vie qui désormais me porte et me transporte vers sa fin.

Si les décorations ont tant d’attrait, n’est-ce pas pour leur connivence avec nos prénoms et, dans un renversement de perspective, avec la vie qui nous anime ?

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018