L’exclamation « Sauvés ! » sort spontanément quand on passe d’une situation périlleuse à une position sûre. Face à la mort, peut-on espérer un salut qui serait du même ordre ? Rien n’est moins sûr dans notre monde physique. Les philosophies et les religions ont apporté leur réponse.
La Congrégation pour la doctrine de la foi, chez les catholiques, vient de rappeler ce 1er mars, la doctrine chrétienne du salut. Ce document, Placuit Deo, est intéressant. Il n’analyse pas des doctrines existantes pour les critiquer, comme la papauté l’avait fait dans le passé pour le fascisme, le communisme ou le nazisme. Il met en garde, comme le titre La Croix, « contre deux dérives possibles de la foi sous l’influence de la culture contemporaine, l’individualisme et le subjectivisme qui nient l’action salvatrice du Christ. »
Bernard Sesbouë, théologien prolixe, a écrit un ouvrage remarquable : Hors de l’Église, pas de salut : Histoire d’une formule et problèmes d’interprétation [DDB, 2004, 396 p.]. La formule a effectivement bien évolué. Elle a justifié des conversions et baptêmes forcés, posant le salut comme une appartenance individuelle à une institution. La découverte des indiens d’Amérique avait en effet posé la question sous un jour nouveau. Les jansénistes ont polarisé le salut comme le résultat d’une volonté personnelle. Ma grand-mère chantait « Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver ». Le concile Vatican 2, sous l’influence des travaux de De Lubac a complètement retourné la formule qui pourrait devenir : le salut par l’Église, une responsabilité communautaire vis à vis de l’humanité toute entière.
La dérive individualiste de la culture contemporaine nous pousse à réaliser notre salut en faisant de notre mieux. Sous entendu, tout seul dans notre coin, même pour s’occuper des autres, notre prochain. Cette tentation a existé dans l’Église dès le début. Un curé ami l’exprimait simplement : « Dans ma paroisse, ça sent la sueur ! » Le document Pacuit Deo rappelle que le salut se vit avant tout dans l’Église, son enseignement et ses sacrements, qu’il est donné pour être accueilli.
La dérive subjectiviste réside dans l’isolement d’une tour d’ivoire, alimenté par une connaissance débridée. Les courants gnostiques incarnent cette dérive. Ceux qui savent sont sauvés par ce qu’ils connaissent. Et ils espèrent en savoir un jour suffisamment pour s’affranchir des limites et contraintes de notre corps, de la mort. Le transhumanisme se nourrit de ces fantasmes. Le document Placuit Deo rappelle que l’humain, et toute la création avec lui, est appelé à une transformation radicale, comme une métamorphose : une divinisation dont la résurrection de Jésus est le premier signe. Il nous est difficile d’en dire plus, ce monde ne nous étant pas accessible aujourd’hui en dehors de la foi.
Je trouve étonnant que ces deux dérives s’expriment avec force dans l’usage que nous faisons de nos outils modernes que sont la voiture, le téléphone portable et les réseaux sociaux. Ce sont des outils individuels qui permettent néanmoins de partager et de contrer ces dérives. J’ai lu quelque part le témoignage d’un prêtre qui ne se déplace désormais qu’en BlaBlaCar. Contact simple, tutoiement… « Ah ! Tu es curé ? » Ce sont des outils qui permettent de tout savoir sur les autres, tout de suite, partout. Une autre atteinte à l’intimité que je n’ai pas évoqué dans mon billet récent. Mais aussi, un formidable outil de solidarité.
Le père Teilhard de Chardin, auteur du Phénomène humain, combattu par Rome de son vivant, avait eu une intuition géniale. Puisque l’évolution tendait vers plus de complexité, l’humanité devait un jour arriver à un état d’interconnexion comparable aux neurones d’un cerveau. Avec les outils dont je viens de parler, nous y allons, bien que nous n’en soyons qu’aux premiers pas. Le salut que les chrétiens reconnaissent dans la foi se situe dans cette évolution. C’est étonnant.
J’apprécie de trouver sur ce chemin, un document qui nous rappelle d’où nous venons, pour nous inviter à discerner où nous allons.
© Daniel Dubois. Amplepuis, 2018