Intimité

Je reste particulièrement sensible, dans mes séances d’écoute, aux questions d’intimité, et en particulier aux témoignages me rapportant des épisodes style télévision réalité où l’auteur étale sans retenue ses domaines intimes. Ces pratiques se répandent de plus en plus au moyen d’internet et de ses réseaux dits sociaux. Les limites jadis posées par les convenances et la morale populaire sont perdues.

Chaque personne évolue dans un système de bulles comparables à des poupées russes. En partant de l’intérieur, la peau est une première limite, entre soi et l’univers. C’est une barrière complexe à plusieurs étages, vivante, sensible. Comme toutes les barrières, elle possède ses ouvertures : pour se nourrir, éliminer, s’unir et capter cet univers extérieur par les sens. Dans un univers social organisé, l’intégration physique est protégée : coups, blessures, viol sont prohibés et punis.

La peau est protégée par des vêtements qui ont eux-mêmes une hiérarchie : des sous-vêtements jusqu’au pardessus ou manteaux.

Ensuite, vient ce qu’on peut appeler la distance de sécurité. Dans une discussion de salon ou à table, c’est l’espace entre les fauteuils ou les chaises. En face à face, c’est la distance qui permet à chacun d’être à l’aise. Au tribunal, c’est derrière la barre. Dans les transports en commun aux heures de pointes, elle est réduite à rien.

Notre rapport au monde et aux autres, et sans doute à nous-mêmes, intègre un besoin d’intimité. Nous ne pouvons pas, en permanence, être au vu et au su de quelqu’un d’autre. Être espionné à longueur de jours et de nuits est l’infamie la plus dure à vivre pour des prisonniers de haut rang.

Mais surtout, les zones de notre corps associées à la transmission de la vie exigent un soin particulier. En complément de mon billet Bestialité, animalité et humanité, je pense que notre pouvoir de transmettre la vie possède une dimension spirituelle : il nous est donné de transmettre le souffle divin à nos enfants. Les chrétiens disent que l’âme prend naissance en même temps que l’embryon.

Cette transmission de la vie, elle s’opère en couple. Par extension, la vie du couple mérite d’être respectée dans son intimité de couple. L’étalage du désir érotique dans les médias et les publicités, toute la pornographie sur internet, gomment progressivement cette exigence d’intimité. Le pédopsychiatre Marcel Ruffo disait dans une de ses chroniques de la revue Pèlerin, que nos parents nous cachaient leur sexualité pour que nous prenions mieux conscience de la nôtre par nous-mêmes.

Et il n’y a pas que les exhibitions physiques. Je déplore, dans les couples en difficultés par exemple, ces étalages de toutes les anecdotes émanant de l’un ou l’autre, auprès du banquier, de l’épicier ou de la caissière du supermarché, ou plus grave encore auprès des enfants ou des parents, parfois pris à témoins ou se mêlant de ce qui ne les regarde pas. Après une séparation, chacun se reconstruit en recueillant son intimité. Comment faire si celle-ci a été éparpillée à tous les vents ?

Oui, bien sûr, l’éducation bourgeoise puritaine qui a modelé (en plein ou en creux) les générations précédentes, n’excluait pas l’hypocrisie et ses mensonges. Mais par un revirement de balancier dont l’histoire a le secret, nous subissons aujourd’hui des perturbations dont on pourrait se passer avec un peu plus de vigilance.

Avec mon épouse, nous n’avons pas parlé à nos enfants de notre vie affective et sexuelle. Et ils ont bien compris la leçon, car eux non plus. Ils ont mené leur vie amoureuse sans aucune intervention de notre part. Ce respect de nos intimités réciproques nous donnent l’âge avançant, pour nous, pour eux et pour leurs propres enfants, un indéniable plaisir d’être ensemble pour parler très librement d’autre chose.

De même que la pudeur, cette veilleuse de notre vie spirituelle, nous pousse à nous cacher dans certaines circonstances, de même, me semble-t-il, devons-nous apprendre à rester vigilants pour respecter le jardin secret de notre couple.

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

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