Rennes aux yeux bleus

Les yeux bruns dorés des rennes deviennent bleus en hiver. On connaît d’autres phénomènes analogues : le but de Dame Nature est de permettre aux heureux bénéficiaires de ses largesses de mieux survivre, en particulier face aux prédateurs. Ainsi les rennes, s’adaptant avec leurs yeux changeants à la lumière variable selon les saisons du Grand Nord, améliorent leur vision et détectent plus facilement les ours et les loups, leurs principaux ennemis naturels.

Je m’interroge alors sur notre capacité à nous adapter comme les rennes à nos différents éclairages pour mieux détecter ceux qui nous veulent du mal. Nos existences alternent des périodes sombres et des périodes lumineuses. Quand tout est clair, nous détectons probablement plus facilement ce qui peut nous être utile ou nous nuire. L’esprit est plus libre, plus vif. En revanche, dans les mauvais moments, nous sommes plus vulnérables.

Ce qui me frappe, c’est que bien souvent, nous ne savons même pas si nous sommes dans la lumière ou l’obscurité, et plus précisément quand nous passons de l’une à l’autre. On entend dire qu’il ne faut jamais prendre une décision importante dans un état dépressif ou de grande fatigue. C’est très vrai. Mais encore faut-il avoir conscience de cet état, puis de son évolution, comme lorsque nous voyons clairement passer un feu rouge au vert.

Dans une époque où l’individualisme ambiant nous met au centre du monde, il nous est plus difficile qu’à un paysan d’autrefois, de garder les pieds sur terre et de profiter de l’éclairage ambiant pour décider quoi faire ou ne pas faire. Le risque est grand de prendre sa vessie pour une lanterne. Voilà donc une résolution possible pour la nouvelle année : prendre conscience de nos éclairages externes, pendant qu’on y est, de nos obscurités internes.

J’en reviens souvent au même point de départ : la connaissance de notre contexte, proche et actuel, est primordiale. Car ce n’est qu’après l’analyse de ce contexte que nous pouvons nous décider avec sagesse.

Un renne aux yeux bleus qui n’en profiterait pas pour mieux surveiller ses alentours dans les nuits d’hiver, serait en danger. Comment analysons-nous notre contexte : une opportunité pour mieux vivre, faire grandir notre bonheur dans la solidarité ou le partage, ou bien une contrainte qui nous limite jusqu’à nous détruire ? Et à partir de cette analyse, comment réagissons-nous ? Parodiant Pierre Dac : que deviennent nos idées fixes quand passe une idée furtive, un éclair de génie qui s’ignore ? Elles gèlent ou elles fondent ?

Bien souvent, nos convictions et croyances en tout genre perturbent inconsciemment notre analyse et notre comportement. Avec ce pouvoir ambigu de nous motiver ou de nous freiner et même de nous bloquer.

Ah ! Si nous pouvions, comme les rennes, changer notre regard chaque fois que notre vie s’éclaircit ou s’assombrit, pour voir les opportunités et les risques du moment à leur juste mesure…

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018

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