Dans son dossier « Livres et idées », L’animal et nous : relancer le débat, le journal La Croix du 22 février dernier livre un interview du philosophe Emmanuel Falque par Élodie Maurot, intitulé L’homme est un être de transcendance. J’ai trouvé cet article particulièrement éclairant sur les trois concepts que j’ai mis en titre, éclairés par la tradition juive et la doctrine chrétienne.
La tradition philosophique a longtemps considéré que la différence entre l’homme et l’animal était une différence de nature. Aujourd’hui, la perspective est différente. Il s’agit d’envisager comment l’homme et l’animal sont différents dans leur rapport au monde. Ce qui permet de reconnaître des similitudes nouvelles dans la sensibilité, l’empathie ou l’intelligence. Mais ce qui pose aussi la question de leur différence d’une autre manière.
E. Falque distingue bestialité et animalité. La bestialité est un comportement, propre à l’homme, qui se positionne en dessous de l’animalité. Elle désigne parfois la zoophilie. Falque y voit la pornographie, les addictions, les génocides. La bête est « comme un monstre tapi à ta porte. Il désire te dominer, mais c’est à toi d’en être le maître. » (ZeBible, Bibli’O, 2011, Gn 4.7, p. 12) Le récit du meurtre d’Abel par Caïn résume bien l’activité et la nuisance de notre côté bestial.
Entre animalité et humanité, la Bible montre que les différences ne sont pas organiques. Animaux et humains sont issus du même limon, des mêmes poussières d’étoiles disait Hubert Reeves. Les animaux ont-ils une âme ? Peut-être pas au sens chrétien du terme, mais certainement au sens d’un principe vital animant un corps aussi complexe que celui des humains.
Vercors explore le sujet dans un roman d’ethnologie troublant, Les animaux dénaturés (1952). La découverte d’un chaînon soi-disant manquant entre le singe et l’homme n’apporte en fait aucune réponse, ni anthropologique, ni juridique, ni culturelle, ni sociologique sur la spécificité de l’homme par rapport à l’animal.
E. Falque affirme que la différence vient de la transcendance. La Bible le dit à sa manière : l’achèvement de la création de l’homme se réalise quand Dieu lui transmet son souffle. Cette vitalité divine permet à l’humain de penser Dieu comme un vivant, prenant l’initiative d’une relation avec lui. C’est toute la tradition biblique juive de l’alliance. Ce souffle, c’est l’esprit, troisième composante de l’humain. Absente chez l’animal. Voilà la différence.
Dans la tradition chrétienne, cette tridimensionnalité, corps, âme et esprit, a été négligée, au profit de la dualité corps et âme. Et la confusion entre esprit et intelligence n’a pas simplifié l’approche. La spécificité de l’esprit et de la vie spirituelle a été abordée dans les auteurs dits spirituels, mais délaissée par les philosophes et les théologiens. Laudato ’si du pape François en ouvrant le débat sur l’écologie intégrale repose la question de cette spécificité. Les chrétiens croient en Jésus vrai Dieu et vrai homme. Il a pris notre humanité avec sa part d’animalité. Par sa résurrection, il ouvre un chemin de transformation pour l’humain dont la bestialité sera vaincue comme la mort. Et cette transformation de l’humain entraînera avec elle la transformation de toute la création, cette « création entière [qui] gémit et souffre comme une femme qui accouche. Mais pas seulement la création : nous qui avons déjà l’Esprit Saint comme première part des dons de Dieu, nous gémissons aussi intérieurement en attendant que Dieu fasse de nous ses enfants et nous accorde une délivrance totale. » (St Paul – ZeBible, Bibli’O, 2011, Ro 8.22-23, p. 1935).
L’humanité, capable du pire avec sa bestialité, est ainsi appelée à être divinisée. Ce sera la perfection de la relation verticale entre l’homme et Dieu. Cette perfection est aussi l’accomplissement d’une relation horizontale prioritairement entre humains, mais aussi avec les autres vivants et toute la nature.
La fidélité à cette relation horizontale nous ouvre à notre relation divine. Et cette dernière lui donne sens.
© Daniel Dubois. Amplepuis, 2018