Chaque chose en son temps

Pour un essai qui devrait débuter en 2018, les chercheurs de l’institut de la mémoire (Pitié-Salpêtrière, à Paris) recherchent des volontaires.

Cette étude repose sur l’hypothèse que les lésions du cerveau dans le cas d’une maladie d’Alzheimer, sont connues beaucoup trop tard (après 10 ou 15 ans) pour être guéries. L’institut recherche donc des profils à risques, pour tester avec eux des protocoles susceptibles d’enrayer la création des lésions avant qu’elles n’apparaissent.

Il faut commencer par repérer les candidats. Deux indices : une mutation génétique et la présence de deux protéines caractéristiques dans le liquide céphalo-rachidien. Pour la mutation génétique, une analyse du génome est nécessaire. Pour les protéines, il faut faire une ponction lombaire, un examen intrusif. Dans les deux cas, ces informations peuvent être disponibles à l’occasion d’un examen pratiqué dans un autre but. Mais, beaucoup seront candidats, comme d’autres l’ont été pour le projet Genographic par exemple, qui retrace l’histoire des grandes mutations de l’humanité à partir de l’analyse génétique. En soi, donc, cette première étape serait neutre, éthiquement parlant.

Où ça se complique, c’est au moment des résultats du test et de la sélection pour l’essai. 1. Faut-il dire à quelqu’un qu’il sera malade d’Alzheimer dans 10 ou 15 ans, avec une probabilité inconnue aujourd’hui ? 2. Peut-on lui proposer de tester un traitement préventif dont on ignore, en fait, la probabilité de réussite ? Question subsidiaire : si un candidat refuse d’être informé de ses résultats, peut-on lui proposer néanmoins de tester en aveugle un protocole qui peut ne pas lui être destiné ?

Dans toute initiative, il est toujours intéressant de rechercher les présupposés. C’est-à-dire ce sur quoi repose l’initiative, ce qui n’est pas dit parce que supposé donné ou acquis. Par exemple, il est présupposé que les élèves arrivent au collège, sachant lire et comprendre ce qu’ils lisent. On sait malheureusement que parfois, ce présupposé n’est pas la réalité et on en connaît les conséquences.

Quels sont les présupposés de ce projet ?

La science pourra, tôt ou tard, guérir toutes les maladies. Le transhumanisme va jusqu’à dire que même la mort pourra être vaincue. Ces affirmations ne sont pas de présupposés, mais des croyances. Face à une croyance, je peux seulement afficher une croyance contraire. Un jour, les réalités viendront mettre les pendules à l’heure. Sauf si ça se gâte : c’est la force qui tranche. Impasse.

On cherche à anticiper une maladie. En soi, c’est un bon principe. Pour construire une maison, on fait un budget, anticipant dépenses et ressources pour pouvoir aller jusqu’au bout. La sagesse même.

Mais peut-on anticiper une maladie par nature hypothétique ? En fait, le fond de la question, ici, c’est le temps, et le temps qui passe. Et plus précisément, le rapport entre ma vie et le temps. Il n’y a pas de vie qui ne s’écoule hors du temps. Le temps existe-t-il seulement en dehors de la vie ? Notre problème, c’est qu’à force d’explorer le passé (comme Genographic cité plus haut), nous avons acquis des pouvoirs pour anticiper l’avenir. La Vie, elle, se contente de suivre le temps, passant d’un instant à l’autre en faisant son travail de fourmi. Elle a construit l’univers de cette façon, et nous en sommes partie prenante. Néanmoins, nos cellules les plus fines sont programmées pour mourir. C’est le principe de l’apoptose, le suicide cellulaire. Sans lui, c’est le cancer, autre solution pour la mort. Donc envisager, par anticipation, de répondre à une question qui se posera peut-être demain, c’est aller à contre-courant de la vie. C’est une autre manière de refuser la mort. Un aveuglement face à la réalité des choses.

Il est légitime de vouloir guérir la maladie d’Alzheimer dès son apparition. Il est vaniteux de vouloir défier le temps qui nous fait grandir et mourir.

La sagesse populaire le dit à sa manière : « Chaque chose en son temps ».

PS : J’apprends au moment d’éditer ce billet, qu’en vue des discussions prochaines sur les lois de bioéthique, Alliance Vita organise une Université de la vie sur le thème Que faire du temps ?

© Daniel Dubois.  Amplepuis, 2018